« Bien au-delà de la technique, le prix Savoir-faire en transmission aura fait naître une rencontre qui marquera la poursuite de mon parcours. »

Nina Fradet, lauréate 2021 du prix Savoir-faire en transmission, a effectué son stage de janvier à décembre dernier auprès de l’ébéniste Bernard Mauffret à l’Atelier Meuble Contemporain. Créé en 2002, l’atelier est situé au sein de la Cour de l’Industrie, dans le 11 ème arrondissement.

Nina revient, ici, sur son expérience et son année de perfectionnement dans un texte détaillé mêlant le Japon, la réalisation d’une variété de projets éclectiques, l’obtention du premier prix Mathias en novembre 2021 et la transmission enrichissante dont elle a bénéficié de Bertrand Mauffret.

« Sensible à la création, j’ai souhaité dès mes 15 ans étudier les arts appliqués. J’ai poursuivi cette expérience par un BTS en Design d’Espace pour étudier les relations entre l’humain et son environnement. Suite à cette approche conceptuelle des projets, j’ai pris conscience de mon attrait pour la matière et me suis tournée vers les métiers d’art. C’est à travers une année de mise à niveau en ébénisterie puis un diplôme des métiers d’art que j’ai pu m’épanouir dans mes études. 

En 2015, lors d’un échange universitaire entre l’école Boulle et l’université TASK à Kyoto au Japon, j’ai eu l’opportunité de m’initier au Takezaïku, technique traditionnelle japonaise du tressage de bambou. Cette immersion dans une culture lointaine fut pour moi autant troublante qu’éloquente. J’ai dès lors orienté mon travail vers la construction d’une relation entre les cultures japonaise et française.

Initiant une recherche d’interactions culturelles entre les métiers d’art, ce projet m’a poussé à approfondir mon apprentissage du tressage du bambou en retournant à Kyoto en 2018, avant de me lancer dans un périple de deux années en Islande et au Japon à la découverte de pratiques artisanales et artistiques variées. Ce voyage m’a alors permis de débuter mon activité par le biais de différentes collaborations, expositions, et notamment en ayant pu intégrer une résidence artistique de deux mois à Kyoto. Confrontée alors à la nécessité d’acquérir une plus grande aisance technique pour développer mes créations, j’ai souhaité rentrer en France pour compléter ma formation en ébénisterie.

Le Prix savoir-faire en transmission était alors une occasion unique pour moi de concilier une période de perfectionnement de ma pratique à l’ancrage de mes projets dans une réalité professionnelle.

De par son parcours en charpenterie, en architecture, en facture instrumentale et en construction navale, Bernard Mauffret est doué d’une technique pluridisciplinaire qui lui apporte une vision plus globale du métier d’ébéniste. C’est cet éclectisme qui se ressent dans ses pratiques comme dans les miennes qui nous a fait nous rencontrer et nous a permis de construire durant un an une transmission basée sur une relation de confiance et de partage.

© Nina Fradet

Mon projet de stage durant cette année consistait en l’aboutissement d’un prototype de siège basé sur la rencontre des techniques de l’ébénisterie et du Takezaïku, tressage traditionnel japonais du bambou. Ayant débuté la recherche conceptuelle lors de ma résidence à Kyoto, l’enjeu majeur était d’aboutir à un processus de fabrication viable en confrontant la théorie avec la réalité de la matière. Ensemble, nous avons alors élaboré un emploi du temps sur l’année me permettant de m’impliquer avec rigueur et attention dans la fabrication des projets de l’atelier tout en ayant des jours destinés la réalisation de ce prototype.

Ayant débuté mon stage en janvier 2021, je me suis consacrée les premiers mois l’exécution des projets de Bernard, afin de me familiariser avec le fonctionnement de l’atelier. Il y’a derrière le métier d’ébéniste de multiples approches. Pour un même assemblage, une même pièce de mobilier, il y a en effet de nombreuses manières de faire, chaque ébéniste ayant affiné au fil des années ses gestes et ses techniques privilégiées. Il était important alors pour moi de découvrir les manières de faire de Bernard, et surtout de découvrir le panel d’outils mécaniques et manuels dont il dispose dans son atelier. Une vraie caverne d’ali-baba ! C’est bien quelque chose d’impressionnant chez lui, sa curiosité envers tous types d’outils, pas forcément destinés à l’ébénisterie d’ailleurs, qu’il chine et réhabilite afin de leur trouver une place dans l’atelier. Il m’a fallu plusieurs semaines rien que pour mémoriser l’emplacement de chacun de ces outils, dissimulés derrière une quantité de casiers impressionnante. Cette grande diversité dans les moyens utilisés pour la fabrication est une force chez Bernard, qu’il tire de son ouverture d’esprit sur la transversalité entre les métiers et les techniques. En cela c’était une vraie joie de me confronter au quotidien à des outils inconnus, qui tout d’un coup ouvraient un vaste terrain d’expérimentations ou rendaient agréable une tâche qui s’avérait longue et fastidieuse.

© Nina Fradet

Cette phase de familiarisation s’est étendue sur un peu plus de deux mois, permettant également à Bernard d’estimer mes compétences pour me confier des projets plus complexes au fur et à mesure et commencer à m’accorder des jours pour débuter les expérimentations sur mon travail personnel. Les mois s’accumulant, il m’a alors accord suffisamment sa confiance pour me laisser travailler plusieurs semaines d’affilée en me confiant l’atelier les soirs, les weekends ou pendant les congés, afin de mener à terme la fabrication de mon prototype.

Malgré des projets travaillés en équipe, la fabrication de mobilier demeure un domaine qui nécessite une grande autonomie, chacun devant mener à terme sa propre tâche. La multitude des connaissances théoriques comme pratiques que Bernard a pu me partager ainsi que la répétition des gestes que nécessite le rythme dense de la fabrication, m’ont permis d’acquérir une plus grande confiance en moi, nécessaire pour une meilleure aisance dans le travail. Cela m’a permis alors de m’impliquer davantage que ce soit dans l’étude des plans, la recherche de procédés techniques ou la fabrication en elle-même, enchaînant des semaines très denses en travail mais également très riches en apprentissage.

La variété des projets réalisés durant l’année était un fort moteur de motivation également.De nombreux ateliers d’ébénisterie sont contraints à réaliser principalement des agencements et des aménagements pour des questions de rentabilité financière. Ce type de fabrication implique une approche totalement différente de l’ébénisterie traditionnelle, étant plus répétitive et moins variée techniquement. La pluridisciplinarité de Bernard ainsi que son réseau dû à sa longue expérience, lui offrent une plus grande diversité dans les projets qu’il réalise. Nous nous sommes confrontés à l’aménagement, mais j’ai pu également participer à la fabrication de meubles de style, à la fabrication de meubles contemporains dessinés par Bernard lui-même, à la fabrication de chassis de toile en format monumental pour un artiste, à la réparation d’icônes sur cadres en bois, à la fabrication et à la pose d’un escalier en cèdre ainsi qu’à l’installation d’une scénographie d’exposition au musée des Gobelins. L’ensemble de ces expériences furent toutes plus enrichissantes les unes que les autres, nécessitant d’adapter les techniques aux contextes.

© Marc Antoine Mouterde Fondation Rémy Cointreau

L’expérience de Bernard ainsi que sa singularité s’ouvrir en permanence à d’autres processus de création ont été des atouts précieux dans l’élaboration de mon projet de stage. Au fil des expérimentations il a pu me guider dans mes questionnements et m’aiguiller sur les différents enjeux à prendre en compte pour la réalisation que ce soit en terme de technique comme de budget, de gestion ou encore de positionnement pour la diffusion de la pièce. Il m’a ainsi permis d’avancer en autonomie pour assumer mes choix dans les procédés de fabrication et de mise en oeuvre. C’est alors seule que j’ai pu mener à terme mon prototype et je lui en suis très reconnaissante pour cela. 

Ayant présenté cette pièce en concours une fois terminée, j’ai eu l’honneur d’être première lauréate du Prix Mathias 2021 en novembre dernier. Cette distinction ayant accompagné la fin de mon stage, elle n’a fait que consolider une confiance dans le travail et un respect mutuel qu’il aurait été plus fastidieux de construire en dehors du contexte qu’instaure le prix savoir-faire en transmission.

© Nina Fradet

Ayant terminé officiellement ce stage fin décembre dernier, nous nous sommes entendus pour poursuivre cette aventure sur un rythme atypique, à l’image du déroulement de l’année passée. Visant déjà à créer ma propre activité depuis quelques années, ces douze mois de perfectionnement, de découvertes et d’efforts sont devenus un tremplin pour me lancer dans le développement d’un studio d’Arts and Crafts en ce début d’année 2022.

Bénéficiant du soutien de Bernard dans cette aventure, je démarre un rythme de travail ponctuel dans son entreprise, à raison de deux à trois jours par semaine, pour pouvoir me consacrer le reste du temps à l’élaboration de nouveaux projets mêlant art et artisanat. Je souhaite ainsi poursuivre les collaborations que j’ai pu engager  à l’étranger, notamment au Japon, et mettre en application les différentes aptitudes que j’ai pu acquérir l’an passé pour réaliser de nouveaux prototypes mêlant ébénisterie et tressage de bambou, à l’échelle de l’architecture cette fois, à travers une approche plus sculpturale pour apporter davantage de poésie à ces métiers d’art.

Je suis très heureuse de la manière dont les choses se sont déroulées. Malgré de multiples imprévus parvenus durant l’année, c’est l’échange humain qui a prévalu sur les contraintes auxquelles une entreprise peut être confrontée. C’est alors une chance immense que d’avoir pu effectuer cette année de perfectionnement qui m’offre aujourd’hui un ancrage professionnel considérable. Bien au-delà de la technique, le prix savoir-faire en transmission aura fait naître une rencontre qui marquera la poursuite de mon parcours. » – Nina Fradet

En images

© Alexandre Clochard

© Nina Fradet

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© Nina Fradet

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© Nina Fradet

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